• Midnight

    Et je me souviens du premier mois avec peu de clarté, souvenirs terrassés par les nuits enfumées. De ces mêmes avenues empruntées chaque soir, la musique entêtante des BRMC résonant au creux des oreilles, même chanson, constamment, et des sanglots le soir du 3 décembre où, à deux mètres à peine de mon corps collé aux barrières, Peter Hayes entonnait l'air d'All You Do is Talk.

    Oxymore parfaite de la situation qui nous enserrait, lui et moi.

    Et je me remémore de cette faible lumière propagée quand il m'ouvrait la porte, à moitié nu, mes talons claquant sur le sol du couloir quand celui-ci, de ses doigts fébriles, me tendait le joint salvateur. Les autres étaient là, aussi, et dans l'air clos et embrumé, je les écoutais parler  la langue chaude de Pasolini, tirant une autre bouffée, fermant les yeux, bercée par le rythme des mots. La plupart du temps il évitait mes regards, cherchant un point imaginaire à lequel se raccrocher. Je l'observais, lui, eux, tous, riant après de longues tirades incompréhensibles. Et je riais, moi aussi, de l'absurdité de cette situation, théorème incohérent et insensé.

    Nous nous retrouvions sur son lit, sa chambre grande comme mon appartement, sans se frôler, et je ne comprenais pas pourquoi il agissait ainsi, pourquoi il tardait tant alors que le schéma était limpide, pourquoi il détournait ses yeux alors que le même regard me détaillerait dans tout mon dépouillement, quelques heures plus tard, quand j'accrocherai mes ongles à son dos brûlant.

    Les minutes passaient alors que je n'osais un geste qui aurait pu signifier ma véritable présence ici. La peur ne m'empêchait pas de venir coller mes lèvres aux siennes afin d'énoncer silencieusement le bouillonnement intérieur qui me tiraillait, je désirais simplement que lui exprime l'existence de cette attente désagréable, la raison supposée de sa fuite.

    Nous ne parlions pas, mais que pouvions nous dire, je ne connaissais rien de lui, l'origine de sa présence ici même, et c'est à peine si je pouvais formuler son nom et son âge, absurdement éloigné du mien. Tout ceci ne n'importait que peu, superficialités destinées à dissimuler la gêne. Rien ne m'importait plus que la virulence avec laquelle il immobiliserait mes bras et la férocité de son regard, durant nos corps à corps passionnés.

    Et je revois le geste sûr de sa main, quand, à peine quelques secondes après avoir atténué la lumière maladive qui me laissait distinguer les traits de son corps, il s'emparait de mon visage, en y plongeant le sien.

    La matinée déjà avancée quand je quittais sa chambre, où la buée formée sur les vitres constituait une autre présence enivrante, le pas de la porte où nos corps s'effleuraient à peine, la fraîcheur du soleil, la brume. Les yeux s'embuaient sur le chemin du retour alors que résonnaient encore ses mots, détachés mais sincères, et que j'hurlais, me mordant les lèvres jusqu'au sang.


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